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Contributions sur les systèmes d’information et le réseautage dans la Santé.
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Contributions sur les systèmes d’information et le réseautage dans la Santé.
publiées sur
https://www.idee-s.info

20 juin 2006

Dossier médical: le dessous des cartes (suite) (https://www.idee-s.info/36/dossier-medical-le-dessous-des-cartes-suite/)

Cet article est classé dans Analyses, Santé — Auteur/autrice :

ComparaisonLa première « exploration géographique » du dossier médical a débuté en octobre 2005. On a découvert deux grandes typologies selon la perception des flux et des échanges entre les professionnels de santé (PS). Ces typologies de dossier ont une traduction dans la conception des projets nationaux comme le DMP en France ou le dossier de santé dans le pays Delaba.

Introduction

Dans la première « exploration » géographique (octobre 2005) du dossier médical, on a découvert deux grandes catégories selon la perception des flux et des échanges entre les professionnels de santé (PS). Ces catégories ont une traduction dans la conception des projets nationaux comme le DMP en France ou le dossier de santé dans le pays Delaba(*).

Comparaison
Dossiers: Comparaison des flux et échanges d'information, hébergement centralisé ou mise en réseau ? ?
Dans la partie de gauche, les flux en provenance des PS (Médecin Généraliste – Infirmière -…) convergent vers le(s) hébergeur(s). Dans celle de droite, les flux des données gérées (conservées et protégées par chacun) s’établissent entre chacun des professionnels concernés.

Chacune des deux approches entrainent (dans le cadre d’un projet d’informatisation) des défis (et des écueils) dans plusieurs domaines – technologique – ergonomique, cognitif – juridique, éthique – médico-social – explorés ici:

1/4 – Le dessous technologique


La centralisation, la concentration, l’hébergeur:
Comme le suggère le schéma, l’approche centralisée (partie gauche) montre un goulot d’étranglement où se concentre un ensemble de problématique comme:
– la fragilité de la mise en ligne de données personnelles et de leur centralisation,
– l’extrême dépendance,
– la contrainte technique lourde,
– la redondance entre l’hébergeur et l’outil logiciel du PS ou de son hôpital.

Si tous les dossiers sont chez l’hébergeur et qu’il y a une panne ou que le goulot d’étranglement des entrées-sorties est saturé, que va-t-il se passer ?, où le professionnel trouvera-t-il les infos ? Où seront les échappatoires ? Car dans un tel modèle on est loin du réseau bien maillé où si l’un noeud casse, il est toujours possible de trouver un autre trajet (comme sur les routes et leurs délestages ou le train et ses voies secondaires qui permettent d’acheminer (certes plus lentement) les wagons et les voyageurs). Or dans les technologies de l’information, les pannes et indisponibilités ne sont pas si rares et l’actualité récente apporte un éclairage qui doit faire réfléchir sur le modèle d’une architecture retenue.

Un sous-traitant commun à des hébergeurs que l’on croyait concurrent a interdit l’accès pendant plusieurs heures (jours) à des milliers de sites internet (Courbevoie 2006).
Après externalisation dans un serveur hors entreprise, le traitement de l’information des entreprises de tout un quartier a été rendu impossible pendant une demi-journée par la panne du réseau télécom (téléphone, isdn, adsl …). Ce qui s’est passé avant pour l’énergie, apparaît maintenant pour l’information et son traitement. Quelles seront les bougies ou les lampes de poche du dossier médical centralisé ?
Le goulot d’étranglement est un phénomène connu des internautes quand ils tentent d’accéder à un site saturé (comme celui du fisc en ces temps de déclaration en ligne).

Dans la partie gauche, on n’assiste pas tout à fait à une mise en réseau de l’information (réseautage) mais à une concentration/centralisation. On est loin de ce qui est schématisé à droite et qui est plus proche de ce que se passe sur le terrain où les échanges se font soit dans la proximité géographique soit dans celle de compétences. Les vecteurs d’échanges sont actuellement la parole, l’écrit avec différents médias (téléphone, papier,…). L’informatisation, sans tendre vers cette concentration, peut s’inscrire dans le même type d’échanges tout en respectant les personnes et leurs façons de s’organiser. Certains traitements automatiques de l’information (infor matisation) peuvent dès lors faciliter le quotidien en complétant des qualités qui n’existent pas dans le média papier. Un des enjeux est la normalisation. Comme celle qui a fixé l’écartement des voies pour que les wagons puissent aller d’un réseau ferroviaire à un autre, il s’agit dans la santé de rendre possible le dialogue entre les outils informatiques déjà en place et futures.

En fait, le schéma de droite montre les PS et les institutions avec des échanges directes comme s’il y avait un fil qui reliait chacune des personnes (physique ou morale) en dialogue. Mais, dans la réalité, cela est un peu différent et via cinq « cartes », on va essayer de discerner quelques éléments clés:

a – Le village Profsanté

Le village ProfSanté - 1
Le village Profsanté: 1 - ©MSC0606
Sur ce plan, a été figuré un échantillon des acteurs essentiels des PS, l’hôpital et ses unités, le médecin de ville, l’infirmière, le kinésithérapeute, le médecin spécialiste, le laboratoire, la pharmacie, le cabinet d’imagerie-radiologie et l’ambulancier, ainsi que les tutelles et mutuelles
Dans ce village, on s’y déplace avec les moyens habituels (à pied, en vélo, en automobile,…)

b – Le village… le courrier, le téléphone

Le village ProfSanté - 2
Le village Profsanté: 2 Les échanges "courrier et téléphone"
Le porte-voix ayant disparu dans la pratique, les échanges à propos d’un patient se font via le courrier postal, et la téléphonie (télécopie) en utilisant les infrastructures mis à la disposition de la cité. Les infrastructures ont mis des années à se mettre en place. Pendant de (longues) périodes intermédiaires, des anciens systèmes ont cohabité avec les nouveaux (Electricité 110v 220v, téléphone analogique et numérique, ..) les impacts économiques et sociaux étant ici déterminants.

c – Le village… échanges via internet

Le village ProfSanté - 3
Le village Profsanté: 3 - arrivée des échanges via internet
Depuis quelques années, sur la base des infrastructures de la téléphonie (au moins dans la partie entre les centraux et la prise téléphonique), un nouveau type d’échanges est apparu – internet avec ses composantes navigation web et courriel (courrier électronique).
Le PS peut consulter sur son écran des données « générales » comme des connaissances de type livresque (revue, livre, dictionnaire,…) ou « médicales » (dossier de l’hôpital, du cabinet) mais aussi le courriel avec des résultats, des infos sur un patient, un dossier. Pour respecter les règles déontologiques, les courriels sont cryptés. (il ne viendrait pas à l’idée d’envoyer un élément du dossier médical sur une carte postale !.)

d – Le village… L’hébergeur central

Le village ProfSanté - 4
Le village Profsanté: 4 - L'hébergeur central des dossiers
Le modèle de gauche (hébergement centralisé du dossier médical) décrit plus haut est traduit ici. Dans ce village, on constate de suite que de nouveaux flux informatiques convergent l’hébergeur (en bas à droite) et sont redistribués vers les différents PS qui disposent alors des données sur leurs écrans (flèches de couleur magenta).
On retrouve le goulot d’étranglement des trafics à l’entrée du « central de données ». Pourquoi deux PS « voisins » pour échanger, utiliseraient-ils des voies aussi centralisées et lointaines. Dans ce contexte, le DMP est un ensemble qui s’ajoute aux modes de fonctionnement et stockage actuels. Il ne s’agit pas d’un dossier de travail des professionnels mais d’un ensemble d’extraits regroupés chez l’hébergeur centralisé. Même pour ceux qui travaillent déjà avec des dossiers médicaux informatisés, il leur sera nécessaire de gérer des nouveaux flux de données et de mesurer les impacts au quotidien et à terme. Comment vont s’articuler les données DMP avec celles contenues dans les logiciels professionnels spécifiques ?.

e – Le village… réseautage

Le village ProfSanté - 5
Le village Profsanté: 5 - Dossier médical vivant et réseautage
Sur ce dernier schéma, on montre que « le » PS (en haut à droite) dispose d’informations collectées informatiquement des différentes sources qui proviennent des différents acteurs de santés ou institutions. (Les cylindres-empilements de disques symbolisent les bases d’informations réparties et accessibles suivant un ensemble de règles respectant la déontologie de chaque groupe et protégeant la vie privée etc..). Les flux (lignes vertes) utilisent des voies sécurisées sur les infrastructures internet. Les différents applications logicielles se connectent de façon standardisée sur ces voies d’informations (losange vert).
L’hôpital qui a son propre réseau local entre les unités de soins et services utilisera une passerelle normalisée vers le réseau général. Ces mêmes voies servent aussi à des échanges locaux par exemple entre le médecin de ville et l’infirmière locale. Ces échanges « informatisés » ne sont pas exclusifs des autres moyens (téléphone, courrier). On retrouve ici clairement la typologie du dossier médical « vivant » où tous les éléments restent le plus proche possible des acteurs qui les ont émis ou reçus.
Pourquoi l’hébergeur centralisé a disparu du schéma en bas à droite ? Parce qu’un dossier médical n’est pas tout à fait un élément du fichier central de police et que dans cette approche, on va plutôt avoir besoin d’outils de régulation, de contrôle, de normalisation des échanges et flux. En eux-même ces outils ne contiennent pas les données mais savent où les localiser de facon sûre et sécure. Et en sus des composants gardés par chaque PS ou son institution, pourquoi pas, (comme cela se pratique avec la musique et le balladeur numérique qui emporte dans sa poche les musiques de sa discothèque), disposer dans sa poche d’un instantané récent des éléments clés de son dossier de santé. On y reviendra en détail dans un prochain épisode.

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2/4 – ergonomique, cognitif


Le dossier médical tant dans sa partie historique (antécédents) que dans sa partie vivante (épisode de la maladie en cours) est un ensemble complexe qui devient « compliqué » à utiliser si on néglige son abord ergonomique ou cognitif. Ce n’est pas qu’une pile de documents mais aussi des lectures, connaissances, protocoles, recommandations avec qui il est en lien.

Dans la vie courante, le slogan « Vu à la télé » est utilisé comme un gage de crédibilité. Il faut espérer que le « Vu à l’écran » sera, pour le praticien, utilisé avec circonspection et que les fondements que sont l’entretien et l’examen clinique resteront les piliers du colloque singulier. J’ai toujours en tête l’histoire du neuro-chirurgien à propos d’un traumatisé crânien qui a échappé à la mort et aux excès de la protocolisation parce qu’en chirurgien, il a d’abord examiné le patient avant de consulter le dossier.

Quand on aborde l’appropriation des technologies de l’information et la prise en compte des connaissances, on peut commencer une énumération sans fin:
– la vision d’une page, de plusieurs pages, le stockage,.. (La matière du support de ces informations est importante à prendre en considération. La perception « cognitive » ne sera pas la même entre des pages, tableaux et fiche de papier réparties sur une table et une liste sur un écran de 40 cm de diagonale.)
– la signature, (pourquoi l’ergonomie actuelle des systèmes de signature électronique est si complexe à mettre en oeuvre ?)
– l’organisation variable selon les spécialités, les institutions. (comme dans toute activité humaine, on a à faire à  une extrême diversité des situations. Donc on n’a pas envie de la voir unifiée ou centralisée mais par contre tout investissement pour améliorer l’organisation quotidienne est bienvenue)
– la valeur de ce qui s’affiche à l’écran – le tiers « virtuel » qui fait irruption dans le colloque (voir la contribution)
– l’information déconnectée, désincarnée, (le virtuel ou le réel ?)
– la validation des connaissances,
– l’exhaustivité des éléments à conserver,

Face à une telle diversité, une approche tautologique a montré dans d’autres domaines de la vie sociale ses limites, l’approche réseautage semble ici plus appropriée mais exigeante.

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3/4 – le dessous juridique, éthique


A l’évocation d’une méga-base contenant toutes les données médicales des citoyens, de multiples aspects juridiques et éthiques surgissent.
– responsabilités des informations – l’importance de la signature et de la chaîne de confiance.

La charte d’un consortium du pays Delaba(*) (150 Global Organizations Working Together to Build a Trusted Digital Ecosystem) qui prone une approche de mise en réseau dit ceci (traduction libre):

« La technologie doit se mettre place en totale symbiose de la ‘psychologie de la confiance’ présente dans le monde de la Santé.
La confiance du patient se construit sur la confiance que lui inspire le professionnel de Santé face aux nouveautés du système de santé et tient du « mon docteur a confiance en ce nouveau système, donc moi aussi… »
Chaque composant d’un système interopérable doit être clairement connu du public, ses fonctions bien comprises, et ses mécanismes disponibles à l’inspection. Les explications pour le public doivent être simples et directes pour créer la confiance et doivent reconnaître – mais pas dissimuler – le doute. »

« Technology must fit seamlessly into the existing « psychology of trust’ found in the healthcare world. The trust a patient holds on a healthcare provider helps build trust in new elements added to the healthcare system, leading to an attitude of…If my doctor trusts this new system, then I do too. » « Each element of an interoperable system must be fully known to the public, its function clearly understood, and its mechanisms available for inspection. Explanation to the public must use straightforward language to create confidence and must acknowledge « ?not dismiss « ?doubt. »

– accès aux informations et protection de la vie privée
Ce que vient de signaler la CNIL à propos des utilisations abusives des fichiers centralisées de la Police est riche d’enseignements.

– respect des usages actuels aux fondements solides avec des additions contrôlables: Les nouvelles technologies ne créent pas une nouvelle éthique ou de nouveaux fondements juridiques qui ont mis des centaines d’années à se mettre en place. (L’histoire -courte- de la nouvelle économie est révélatrice). En favorisant la mise en réseau la plus proche possible du citoyen et du professionnel de santé, moyennant quelques adaptations maîtrisables, tout ce qui a été acquis avec les médias classiques (comme le papier) peut parfaitement s’adapter avec les nouveaux médias électroniques. Par contre, une vision centralisée, hébergée, de toute une population est beaucoup plus problématique comme l’indiquent de multiples publications récentes.

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4/4 – médico-social


Appel au central
J’espère que dans un proche avenir, au cabinet de consultation chez le médecin, on ne se retrouvera pas dans une situation proche de celle du contrevenant souvent montrée dans les téléfilms et qu’on ne verra pas son médecin nous dire « Une minute, asseyez-vous, j’appelle le central » via son ordinateur pour débuter l’entretien après avoir reçu les autorisations requises de l’organisme social central. (cf SOS Bonheur)

Les économies: d’où viennent-elles ?
de la centralisation ou de la qualité des échanges entre professionnels ?
– exemple de l’ordonnance d’une personne  âgée. Qui ne s’est pas interrogé sur l’efficacité d’une ordonnance où près de dix spécialités médicamenteuses prescrites par plusieurs praticiens s’ajoutent ? La mise en réseau des informations liées au médicament dès sa prescription jusqu’à sa délivrance/administration est un des défis du réseautage en santé. Un prochain épisode lui sera consacré.
– l’enseignement des maisons médicales: La création des maisons médicales de proximité regroupant diverses spécialités médicales indiquent que les initiateurs de tel projet de mise en réseau des compétences n’ont pas confondu exercice libéral avec individualisme. Le regroupement local des éléments du dossier médical ainsi partagé est un atout de qualité des soins.
– les réseaux locaux de PS dans un canton: Grâce au catalyseur des technologies de l’information et aux travaux, formations et réunions périodiques pour déployer les échanges électroniques, le lien « social » se crée entre les PS qui, auparavant, agissaient « en solo ». La confiance est donc assurée dans les informations échangées.

La question essentielle n’est pas – le dossier médical centralisée va permettre de faire des économies – mais favorisons par tous les moyens la qualité des échanges entre les PS et alors, en corollaire, on évitera des effets secondaires de la non-communication (interaction iatrogène des médicaments, redondance des recours aux analyses de biologie,… ) et on augmentera la qualité tout en faisant des économies.

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Au Delaba

Le pays Delaba est un pays qui existe tout en n’existant pas. Il est ce pays différent du notre qui est une sorte de somme des autres pays qui s’intéressent à l’informatisation nationale du dossier de santé. Internet nous permet de découvrir leurs existences par les publications électroniques mis en ligne pour les citoyens locaux et du fait de la technologie pour tous les habitants de la planète connectés (sous réserve de savoir traduire). Ces écrits, on les trouve dans des sites, des blogs, des documents pdf ou diaporama allant que quelques pages à des centaines de pages avec des versions mises à jour régulièrement selon les étapes d’avancement du projet.
Le pays Dacoté est celui que je peux visiter « physiquement » et où je peux mieux percevoir comment les établissements de santé s’organisent pour aborder les sujets de l’informatisation du dossier de soins et du dossier médical. Je peux alors constater la distance effective entre ce qui s’écrit sur Internet et ce qui se réalise au quotidien. Mais aussi je peux entrevoir les angles différents d’approche pratiqués dans ce pays et ceux mis en oeuvre dans les établissements français (qu’ils soient publiques ou privés).

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La question ?


Hébergement central
ou réseautage (mise en réseau) des dossiers médicaux ?

En somme, l’approche centralisée présente de nombreuses limites et risques. Par contre l’architecture en réseau (de réseaux) est plus proche de la vie des organisations de santé dans leur fonctionnement interne ou entr’elles comme dans leurs relations avec les citoyens-patients. Chacune a ses exigences. L’architecture réseautage regroupe de nombreux atouts sur l’ensemble des thèmes exposés ici:

– technologie: invitation à la création de nouveaux outils – répartition des risques – effort de normalisation / structuration – inventivité en gestion de projets.
– ergonomie: potentialité forte de s’adapter (et non de s’ajouter) aux pratiques.
– cognitif: en rapprochant les hommes et leurs informations, le sens et la valeur sont renforcés.
– juridique, éthique: respect des usages actuels aux fondements solides avec des additions / adaptations contrôlables.
– médico-social: une intégration douce dans les organisations et l’évolution (normalisée) de leur informatisation avec valorisation de l’existant et maîtrise programmée des coûts.

Jeudi 15 juin 2006, Michel S.

Prochains épisodes du « Dossier médical: le dessous des cartes »:

– La mise en réseau des informations liées au médicament.
– Choix de la typologie du dossier médical et impact sur l’approche projet.

Cette contribution fait partie de la série : Dossier médical

  1. Dossier médical: le dessous des cartes
  2. Dossier médical: le dessous des cartes (suite)
  3. Au dessus de la carte
  4. Dossier médical : le dessous des cartes (le médicament)

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